Adoption par parents du même sexe #1
Quand le Tribunal de Grande Instance de Versailles oppose son refus à l’adoption par une femme mariée de l’enfant de son épouse
Le 19 mai prochain, cela fera un an que la loi n°2013-404 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe est entrée en vigueur.
Cette ouverture du mariage aux couples homosexuels leur a également donné accès à l’adoption.
C’est ainsi que le Tribunal de Grande Instance de Lille a prononcé la première adoption d’un enfant par l’épouse de sa mère biologique le 14 octobre 2013.
Depuis cette première adoption, les principales associations de parents homosexuels ont recensé une vingtaine de jugements autorisant l’adoption plénière dans le cadre de couples mariés de personnes de même sexe.
Mais le 29 avril dernier, le Tribunal de Grande Instance de Versailles semble avoir terni cet élan arc-en-ciel en refusant l’adoption d’un enfant par l’épouse de sa mère biologique.
Si cette décision semble contraire à l’esprit même de la loi dite du « mariage pour tous », elle apparaît néanmoins conforme à la jurisprudence contemporaine qui aspire à un débat parlementaire sur la question de l’adoption et surtout de la procréation médicalement assistée pour les couples homosexuels.
– Une décision contraire à l’esprit de la loi
En ouvrant le mariage aux couples homosexuels, le législateur a surtout voulu apporter une solution à la précarité juridique dans laquelle se trouvaient les familles homoparentales.
« Le mariage pour tous » a de facto entraîné « l’adoption pour tous » sans pour autant autoriser les couples de même sexe à concevoir un enfant par procréation médicalement assistée (PMA) ou par la gestation pour autrui (GPA).
En effet, si la GPA est interdite en France, la PMA est autorisée mais très encadrée.
La PMA est prévue par l’article L 2141-2 du Code de la Santé Publique qui n’ouvre cette possibilité de concevoir un enfant qu’aux couples composés d’un homme et d’une femme étant atteints d’une stérilité pathologique, en plus de conditions relatives à la durée de la relation, si le couple n’est pas marié, et à l’âge des personnes.
La conception d’un enfant par PMA en France est donc impossible pour les couples de femmes.
Or, plusieurs pays frontaliers comme la Belgique ou l’Espagne ont une législation beaucoup plus souple en la matière.
Une femme seule ou un couple de femmes peut donc parfaitement avoir recours à la PMA à l’étranger pour concevoir un enfant.
Les couples homosexuels désireux de devenir parents n’ont d’ailleurs pas attendu la loi du 17 mai 2013 pour recourir à la PMA à l’étranger.
Si seule la femme accouchant de l’enfant avait un statut légal sur ce dernier, l’ouverture de l’adoption aux couples homosexuels (et surtout le régime simplifié de l’adoption de l’enfant du conjoint) a fait naître l’espoir chez ces derniers de remédier à l’insécurité juridique de leur famille homoparentale dans l’hypothèse, notamment, du décès de la mère biologique.
Ces questions de société ont soulevé de vifs débats au sein de l’opinion publique que la jurisprudence a dû temporiser.
– Une décision conforme à la jurisprudence
Ayant été saisi a priori de la constitutionnalité de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes même sexe, le Conseil constitutionnel a considéré, dans sa décision du 17 mai 2013 (DC n°2013-669), que le refus de permettre aux couples de femmes d’accéder à la PMA en France n’était pas discriminatoire et était donc conforme à la Constitution.
Le message est clair : la GPA reste interdite en France et la PMA réservée aux couples hétérosexuels.
Mais quid des couples français ayant réalisé une GPA ou une PMA à l’étranger ?
Dans deux arrêts du 13 septembre 2013 (pourvois n°12-30138 et 12-18315), la Première Chambre Civile de la Cour de cassation a refusé la retranscription sur les actes civils français du lien de filiation paternel d’enfants nés par mère porteuse à l’étranger en se fondant sur la fraude à la loi nationale.
La Première Chambre Civile a confirmé sa position dans un arrêt du 19 mars 2014 (pourvoi n°13-50005).
C’est en se fondant sur ce même motif que le TGI de Versailles a refusé l’adoption de l’enfant par l’épouse de sa mère biologique dans son jugement du 29 avril 2014.
Dans sa décision, le Tribunal a en effet rappelé que le juge est tenu de vérifier qu’il n’y a pas eu de fraude à la loi ou de détournement de l’institution avant de procéder à l’adoption.
Or, lorsqu’on cherche à obtenir ce que la loi française prohibe, par des moyens détournés et légaux, que ce soit en France ou à l’étranger, il y a fraude à la loi.
Il revient dès lors aux juridictions compétentes d’empêcher, de priver d’effet et donc de réprimer les pratiques qui seraient constitutives d’un tel détournement.
Le TGI de Versailles a ainsi réprimé ce processus qu’il a considéré comme frauduleux en refusant de prononcer l’adoption.
Ce jugement semble toutefois avoir une portée limitée puisqu’émanant d’une juridiction de premier degré.
Le couple a d’ailleurs annoncé son souhait d’interjeter appel de cette décision.
Quelle serait la position de la Cour de cassation si elle était amenée à se prononcer sur la question, dans l’hypothèse où la Cour d’appel confirmerait la décision de première instance ?
Deux options sont possibles :
- La Cour de cassation ayant déjà autorisée la délégation d’autorité parentale dans un même contexte (famille homoparentale avec un enfant issu d’une PMA) et n’ayant jamais prononcé le terme de « fraude » concernant la PMA réalisée à l’étranger, elle pourrait être amenée à casser la décision de la Cour d’appel.
- La Cour de cassation pourrait confirmer la sévérité de ce jugement afin d’inciter le législateur à intervenir.
– Un débat parlementaire nécessaire
En tout état de cause, il va falloir que le législateur tranche la question afin de faire cesser les divergences entre les juridictions et ainsi faire correspondre la réalité sociologique avec la réalité juridique.
L’influence du Parquet est certaine sur les décisions rendues par les juridictions et en tant que défenseur des intérêts de la collectivité nationale, il est incohérent que la loi soit interprétée de manière hétérogène sur le territoire national.
Les familles homoparentales demeurent dans l’incertitude et ce n’est pas aux juges mais au Parlement de solutionner les questions de société.
Toutefois, le Président de la République a affirmé que la légalisation de la PMA et de la GPA ne serait pas à l’ordre du jour d’ici à la fin de son quinquennat…
Publié le 16 mai 2014