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Interview, pour Village de la Justice, 9 janvier 2014

La suppression du Juge dans les divorces : une fausse bonne idée.

Le rapport sur « le juge du XXIème siècle » (commandé par Christiane Taubira, garde des Sceaux, et piloté par Pierre Delmas-Goyon, conseiller à la Cour de la cassation) propose de confier au greffier « juridictionnel » le divorce par consentement mutuel.

La rédaction du Village de la justice a pu rencontrer Juliette Daudé, avocate spécialisée en droit de la famille, afin d’obtenir des éclairages sur cette proposition critiquée par l’ensemble des professionnels du droit.

En tant que spécialiste du droit de la famille, que pensez vous de cette proposition ?

Il est nécessaire de trouver une solution pour faire face à l’engorgement des Tribunaux en ce qui concerne les affaires familiales. Les délais sont devenus beaucoup trop longs pour le justiciable qui souhaite divorcer rapidement.
Aujourd’hui, il arrive souvent que l’audience devant le juge dure 2 minutes au cours de laquelle celui-ci prête peu attention au couple qui se présente devant lui. Les justiciables peuvent donc avoir l’impression d’avoir une justice très expéditive et la question de l’utilité du juge dans ces situations est compréhensible.

Toutefois, cette proposition ne me paraît pas être la bonne solution. En effet, un problème de réalisme se pose dans la mesure où les greffiers sont eux aussi débordés. La solution idéale serait donc d’avoir plus de magistrats et de greffiers. Or, ce rapport propose de créer une fonction nouvelle, le greffier juridictionnel, mais aucune création de poste. Concrètement, je ne vois pas comment cette proposition pourrait être mise en place sereinement.

Le juge est–il effectivement indispensable dans la procédure de divorce par consentement mutuel ?

Le juge est indispensable au sein de cette procédure car des conflits peuvent exister dans les divorces par consentement mutuel. Il convient de rappeler que la volonté des deux époux de se séparer n’est pas synonyme d’absence de conflit entre eux. Or, il est inquiétant de constater que le rapport ne distingue pas les situations des couples avec ou sans enfants ou encore si les époux possèdent un patrimoine ou non. Il existe bien souvent des désaccords, même en l’absence d’enfants ou de bien immobilier. Il n’est pas rare de constater dans un dossier l’existence de violence ou de harcèlement exercés sur l’un des époux.

Par ailleurs, le magistrat ne se contente pas simplement d’homologuer les actes de divorce. Il vérifie les revenus de chacun, regarde si une prestation compensatoire a bien été prévue, examine que les pensions alimentaires ne soient pas démesurées ou trop faibles. La présence du juge est donc très importante afin que les intérêts de chaque époux puissent être préservés.

Si cette proposition était adoptée, quel serait l’impact sur votre activité ?

Il ne devrait pas y avoir d’impact dans la mesure où le nombre de divorces ne baissera pas. La durée de la procédure ou la perspective de devoir rencontrer un juge ne sont pas un obstacle pour les époux désireux de divorcer. Ce ne sont que des considérations financières ou de logements qui les arrêtent. Concrètement, le nombre de dossiers à traiter pour un avocat ne devrait donc pas chuter.

Toutefois, la suppression du juge pourrait renforcer la responsabilité professionnelle de l’avocat. En effet, le divorce reposerait sur l’accord préparé et négocié par l’avocat qui n’aurait plus le sceau du juge en guise de « protection ». La construction de la convention de divorce nécessiterait une meilleure attention de la part des avocats pour aboutir à une solution réellement acceptée par les deux parties et qui veille aux intérêts de tous.

Pensez vous qu’à terme, l’avocat pourrait être aussi amené à disparaître de la procédure de divorce par consentement mutuel ?

Par le passé, une solution a été présentée consistant à confier le monopole des divorces par consentement mutuel aux notaires. Elle n’a pas abouti.
La suppression de l’avocat me paraît difficilement réalisable dans la mesure où il représente le lien entre le particulier et la Justice. Le justiciable qui n’est pas rompu au vocabulaire juridique aura toujours besoin de l’avocat pour le conseiller sur les possibilités que lui offre le Code civil en cas de rupture du lien du mariage. En terme de conseil, son rôle est encore important.

Par ailleurs, la médiation, obligatoire avant de se présenter devant le juge aux affaires familiales (hors les cas de divorce par consentement mutuel), est toujours privilégiée. Pour trouver un accord, l’avocat sera toujours la personne vers laquelle se tourneront les individus pour connaître leurs droits et négocier des accords.

A terme, ce n’est donc pas l’avocat qui est menacé mais le juge.

Source : http://www.village-justice.com

Publié le 9 janvier 2014

Lien : http://www.village-justice.com/articles/suppression-divorces-fausse-bonne,15933.html